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Censuré pour (trois fois) rien

Quelle mouche a piqué le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) ? L’organisme indépendant, qui veille au respect des règles éthiques et déontologiques, vient de prononcer une fatwa à l’encontre de Money for Nothing. Alors que le tube du groupe Dire Straits tourne sur les ondes depuis un quart de siècle, les radios et télés canadiennes sont dorénavant interdites de diffuser la version originale de ce morceau emblématique des années 80.

Suite à la plainte d'une auditrice de Terre-Neuve, qui a entendu Money for Nothing sur les ondes de la station CHOZ-FM, le CCNR explique que les paroles contiennent « un mot qui fait référence à l'orientation sexuelle de façon désobligeante ». Le mot en question est « faggot » - « tapette » en français - répété à trois reprises dans un couplet de la chanson. « Même s’il était entièrement ou marginalement acceptable à une époque précédente, [ce mot] ne l’est plus », juge le CCNR. Les censeurs estiment donc que la chanson constitue une insulte faite aux homosexuels. Et qu’elle enfreint par la même les dispositions sur les droits de la personne du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs.

IRONIE
Dans l’absolu, pourquoi pas. Le terme « faggot » peut paraître insultant, voire même discriminatoire. Sauf qu'en l’occurrence, il est sorti de son contexte. Dans Money for Nothing, les Dire Straits ne se moquent pas des gays, ni des lesbiennes. Ils se moquent d’eux-mêmes, du star-system et de MTV. Ils se mettent à la place d’un déménageur qui méprise les stars du rock, ces « tapettes » avec une boucle d’oreille, maquillées, pleines aux as, qui ont leur jet privé - « The little faggot with the earring and the makeup/ That little faggot got his own jet airplane/ That little faggot, he’s a millionaire ».

Ce n’est ni plus ni moins que de l’ironie. Des paroles à prendre au second degré. Ce que n’a pas saisi l’auditrice de CHOZ-FM à l’origine de la plainte, ni le Comité régional de l’Atlantique du CCNR qui a accédé à sa demande. Soit dit en passant, ce n'est pas la première fois que la chanson de Dire Straits suscite la controverse. Le groupe a d’ailleurs enregistré une version expurgée de Money for nothing dans laquelle « faggot » est remplacée par « mother ».

DISCERNEMENT
Quoi qu’il en soit, nombre d’artistes ont du souci à se faire. Si le CCNR poursuit dans cette logique, d’autres chansons devraient être bannies des ondes canadiennes. Qu’adviendra-t-il par exemple de Moi Tarzan, toi Jane, dans laquelle Robert Charlebois prétend qu’il n’aime pas la bière, affirmant : « J’suis pas tapette pour ca ». Idem pour Femme ou filles de Claude Dubois, où le chanteur raconte qu’il est « resté un bum/ Toujours un peu poète/ Même si ça rime avec tapette ». Le CCNR interdira-t-il aussi les titres du Suprême NTM, évitant ainsi que les mamans se sentent insultées par le nom du groupe de rap français (Nique Ta Mère). Proscrira-t-il pour incitation à la haine raciale le Killing an Arab de The Cure, une chanson extraite du livre L'étranger d'Albert Camus ?

Espérons que non. Et souhaitons que le Conseil canadien des normes de la radiotélévision fasse preuve de discernement après avoir entendu les voix qui se sont élevées contre sa décision. A Halifax et Edmonton, deux stations de radio ont passé en boucle la version originale de Money for Nothing. En ne respectant pas l’avis de censure, elles espèrent être poursuivies par le CCNR pour le faire changer d’avis. Dans les colonnes des journaux, plusieurs chroniqueurs ont critiqué les « curés du Conseil », ces « chevaliers de la pureté » qui ont « censuré for nothing », sans une once de « jugement ».

RIDICULE
Quant au Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL), il a fustigé un bannissement « ridicule ». Selon son président, Steve Foster, cette histoire « farfelue fait couler beaucoup d’encre au détriment de causes plus importantes et plus graves ». Une bonne tapette sur les doigts des censeurs, qui devrait faire réfléchir le CCNR.

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