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L’éléphant sur le banc des accusés

A l’occasion de son congrès annuel, le week-end dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) voulait parler d'une « sorte de non-dit [qui] plane sur la profession ». Selon la FPJQ, qui a toujours défendu la liberté de presse et le droit public à l’information, Quebecor occupe « une place démesurée sur l'échiquier médiatique ». Un poids qui fait craindre des dérives en termes de contrôle et d’uniformisation des nouvelles.

Parmi les trois panélistes invités à la tribune, David Patry fut le premier à briser la loi du silence. Journaliste en lock-out du Journal de Montréal, aujourd’hui reporter à Rue Frontenac, il est venu décrire les pratiques en vigueur lorsqu’il écrivait dans les pages culturelles du JdeM. Visiblement ému, il tenait à rompre « l’omerta très réelle et très présente » pesant sur les journalistes employés par Quebecor. « Ils ont tous des histoires, mais elles sont rarement exprimées en public, pour ne pas dire jamais. »

DICTEE
David Patry a pris l’exemple d’un article dicté « mot à mot » par sa supérieure, Michelle Coudé-Lord. « On peut y lire [son] style. À la fin, elle m’a dit qu’il n’était pas question que je ne signe pas ce texte. J’ai accepté ça. » Il a également relaté les « commandes » par courriel de son rédacteur en chef, Dany Doucet, et les « autres jobs de bras » contre des ennemis de Quebecor. Des histoires comme celles-là, l’ex-journaliste du JdeM aurait « pu en sortir des dizaines. Et je n’ai que trois ans d’expérience au Journal de Montréal ».

Le grand danger, poursuit David Patry, ce n’est pas tant la convergence médiatique ou commerciale. C’est « la convergence idéologique ». D’après lui, les journalistes de l’éléphant monté par Pierre-Karl Péladeau « savent ce qu’ils doivent faire et ce que l’on attend d’eux. Ils n’ont pas besoin de commande. Ils agissent par réflexe, car ils connaissent les alliés et les ennemis de l’empire. »

JOB DE BRAS
Prenant la parole à son tour, Richard Bousquet a témoigné en puisant dans son expérience d’ancien chef de pupitre de la section arts et spectacles du Journal de Montréal. L’actuel vice-président de la FPJQ a évoqué au micro trois textes « équilibrés », fruit d’une interview avec Renaud Gilbert, l’ex-ombudsman de Radio-Canada. Quand les textes lui ont été renvoyés pour être mis en page, il n’en restait plus que deux. « Les passages nuancés avaient été retranchés. Seuls restaient les propos de M. Gilbert pouvant porter tort à Radio-Canada », rapporte le coordonnateur de Rue Frontenac. D’après lui, tout cela relevait là encore de la « job de bras ».

Richard Bousquet a ensuite parlé de son patron, Pierre-Karl Péladeau. « On a quelqu'un qui a la mainmise sur plus de la moitié de la culture au Québec. Il contrôle aussi 40 % des médias et 50 % de l'auditoire. Il veut uniformiser les contenus de ses médias et les mettre au service de son empire. Ce n'est donc pas nous, les lock-outés, qui avons un problème, c'est la société québécoise dans son ensemble.»

En lock-out ou non, plusieurs autres journalistes de Quebecor ont également défilé au micro pour faire des témoignages similaires.

UN SEUL JOUEUR SUR LE TERRAIN DE L’INFO
Invitée comme panéliste, l’ex-rédactrice en chef du JdeM Paule Beaugrand-Champagne a pour sa part dénoncé une « entreprise paranoïaque ». Elle a rappelé que Quebecor s’est dernièrement retiré du Conseil de presse, du Fonds canadien de la télévision, des prix Gémeaux.

La journaliste s’est interrogée sur ce qui pourrait arriver si cette même entreprise « décidait de passer un mot d’ordre en donnant une ligne directrice à ses médias lors d’événements politiques ou sociaux. Où, et comment la démocratie pourrait-elle jouer si une très large partie de la société québécoise n’est informée que par un seul joueur sur le terrain de l’information ? » Qui plus est si cette information « s’en trouve prisonnière et limitée à ce que pense ce joueur », a-t-elle poursuivi. Avant de conclure que le Québec a davantage besoin « d’une information libre, complète et diversifiée ».

POPULISME
Ancien numéro 2 de la Caisse de dépôt et placement du Québec au moment du rachat de Vidéotron par Québecor, Michel Nadeau s’est prononcé sur la stratégie multiplateforme déployée par l’héritier Péladeau. Selon le troisième panéliste de l’atelier, c’est certes « une formule exigeante pour les artisans de l’information », mais c’est aussi la seule pour maintenir des salles de rédaction « avec des moyens ». Il ne serait d’ailleurs pas étonné de voir cette stratégie se répandre. « Je serai curieux de regarder comment Gesca et Radio-Canada, entre autres, vont faire. »

L’ex-journaliste du Devoir s’est toutefois montré plus réservé lorsqu’il a évoqué les risques potentiels de détournement des plateformes de Quebecor. « Pierre Péladeau voulait offrir un large buffet d’informations pour tous les Québécois », a souligné Michel Nadeau, avant de critiquer de son héritier, selon lui tenté de mettre en place une « presse populiste, ultra-simpliste, avec ses informations de caniveaux et son agenda propagandiste. »

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