Ne les oublions pas
Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont deux journalistes chevronnés. Grand reporter âgé de 47 ans, Hervé a couvert la guerre en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et la guérilla des Khmers rouges au Cambodge. Caméraman de 46 ans, Stéphane était lui aussi de la guerre en Irak, après avoir filmé plusieurs conflits sur le continent africain. Accompagnés de Reza, Ghulam et Satar, leurs trois « fixers » afghans, ils ont été enlevés le 30 décembre 2009, quelque part dans la vallée de la Kapisa, au nord-est de Kaboul.
Enlevés pour avoir exercé leur métier en réalisant un reportage pour le magazine Pièces à conviction, diffusé chaque mois sur France 3. Enlevés, car ils en ont eu assez de coller aux rangers des militaires, eux qui voulaient rencontrer les ennemis de l’armée française. Enlevés, pour avoir cherché à rencontrer ces fameux Talibans qui ont repris du poil de la bête dans cette province montagneuse. Enlevés, parce qu’ils voulaient nous informer sur cette région sensible, où se cristallisent les enjeux de la présence occidentale en Afghanistan.
COUPABLES ?
Quelques jours après la capture des deux journalistes, Nicolas Sarkozy ne l’entend pas de cette oreille. Le président français s’agace publiquement de « l’imprudence vraiment coupable » d’Hervé et Stéphane. Dix jours plus tard, le secrétaire général de l’Elysée en remet une couche. Claude Guéant affirme que les deux reporters font « courir des risques à de nos forces armées, qui, du reste, sont détournées de leurs missions principales ». Fin février, le général Jean-Louis Georgelin enfonce le clou en parlant gros sous, indiquant alors que les recherches ont « déjà coûté plus de 10 millions d’euros ». Des propos vivement dénoncés par RSF (Reporters sans Frontières) et les syndicats de journalistes.
Il faudra ensuite près de quatre mois pour que France Télévisions se décide enfin à dévoiler l'identité des journalistes, jusque-là tenue secrète. Quatre mois également pour avoir un signe de vie des deux otages, à travers une vidéo diffusée sur Internet les montrant amaigris, en train de lire un texte demandant au président Sarkozy de satisfaire les exigences des Talibans. Jusqu’à fin septembre, les déclarations encourageantes des uns et des autres (ministre de la Défense, secrétaire de l’Elysée, PDG de France Télévisions, etc.) laisseront entrevoir la libération prochaine d’Hervé et Stéphane. Leurs proches garderont donc bon espoir, pensant les revoir bientôt.
SANS NOUVELLES
Depuis, le silence est retombé et aucune information n'a filtrée. Au grand dam du comité de soutien des deux reporters, créé par leurs familles et leurs amis. A coup de communiqués et de manifestations divers et variés, ils n’ont eu cesse d’interpeller le chef de l’Etat et son ministre des Affaires étrangères. En vain. Pour couronner le tout, dans son show télévisé de mardi dernier, Nicolas Sarkozy s’est déclaré « un peu moins inquiet » pour Hervé et Stéphane que pour les autres otages français séquestrés au Mali.
De quoi mettre en rogne le comité de soutien qui « s'interroge légitimement sur les raisons de cette faible inquiétude affichée » par le président français. Et ce « alors qu’ils sont détenus depuis bientôt un an ». Hier, le tout nouveau ministre de la Défense a tenté de rattraper le coup à l’Assemblé nationale. « Nous mettons tout en œuvre pour obtenir la libération des journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier », a souligné Alain Juppé.
Pas sûr que cela suffise à rassurer les proches de deux reporters, aujourd’hui séquestrés en Afghanistan depuis 324 jours.