Accueil » àla1 » Une question de sémantique politique

Une question de sémantique politique

Le terme est tabou dans les rangs de la majorité. Un (gros) mot honni à tous les étages de l’UMP, de l’Elysée à Matignon, en passant par le palais Bourbon. A ne surtout pas prononcer, selon la consigne présidentielle. La rigueur, en Grèce, en Espagne et au Portugal, à la rigueur. Mais que nenni en France. Le gel des dépenses de l’Etat décrété par François Fillon pour les trois prochaines années ? « Une politique de responsabilité et de redressement des finances publiques », résume Nicolas Sarkozy. Donnant le "la" à ses troupes.

Bien entendu, la gauche ne l’entend pas de cette oreille. Répétant à l’envie le mot proscrit. Tout cela n’est qu’un « plan de rigueur qui n’ose pas dire son nom », lance Harlem Désir, numéro 2 du PS. « Il faut arrêter de jouer sur les mots », renchérit l’ancien ministre socialiste de l’Economie, Michel Sapin. Le débat tournant même à l’analyse de texte. « En bon français, ''diminuer la dépense publique'' signifie que l’heure est à l’austérité [...]. Il faut cesser de nous prendre pour des imbéciles! », fustige le parti communiste.

CEUILLETTE DES OLIVES
Au sein de la majorité, deux francs-tireurs ont prononcé l’imprononçable. Premier à dégainer, Jean-François Copé. « Moi, le mot que j’utilise c’est le mot de rigueur », martèle le chantre du « parler vrai ». « Après, un certain nombre de mes amis et collègues disent ''non, non, ce n'est pas ça la rigueur''. Bon, d’accord. Appelons ça cueillette des olives en Basse-Provence », ironise le patron des députés UMP, paraphrasant le fameux sketch de Pierre Dac. Dans la foulée, Alain Juppé prenait la plume sur son blog pour demander à son camp d’arrêter ses « circonlocutions autour du mot rigueur ». L’ancien Premier ministre félicitant l’actuel qui « a le courage de le dire, et je lui tire mon chapeau. »

Face à ces prises de parole dissonantes, l’UMP se devait de réagir. Et a réagi par la voix de son porte-parole. « En langage économique, le mot rigueur veut dire augmentation généralisée des impôts. Il est donc contraire à [notre] politique », disserte le prof Frédéric Lefebvre. Sauf qu’il n’existe aucune définition économique du mot maudit… « Aujourd’hui, on a un gouvernement rigoureux, qui en aucun cas n’applique une politique de rigueur », ajoute-t-il benoitement. François Fillon, lui, s’en « contrefout » officiellement. Sans nommer sa politique. Ce qui compte pour le 1er ministre, c’est la baisse des dépenses publiques et celle de la dette.

SYNONYME DE RENONCEMENT
Alors, pourquoi tant de périphrases et de tours de passe-passe sémiologiques ? Pourquoi ne pas appeler un chat, un chat ? Tout simplement « parce que le mot rigueur fait peur. Il est devenu synonyme de sacrifices supplémentaires, et sacrifices de ceux qui ont le moins, pas de ceux qui ont le plus », explique Jean-Paul Gourévitch, professeur de communication politique à Paris XII. En France, le terme « est connoté négativement, alors que dans d’autres pays, il est compris positivement. Comme un tour de vis, certes, mais responsable », souligne l’universitaire.

Sa mauvaise réputation politique remonte à 1983, et au « tournant de la rigueur » pris par le gouvernement Mauroy. Le virage enterra l’idéal socialiste qui avait porté François Mitterrand à la présidence deux ans plus tôt. Idem en 1995. Cinq mois après l’élection de Jacques Chirac sur le thème de la fracture sociale, Juppé prône la « rigueur budgétaire ». Et enterre le programme du président à la pomme. Consciemment ou inconsciemment, l’expression traduit « la trahison de ses promesses de campagne », observe l’expert en com’ politique.

DUR A SUPPORTER
Un reproche dont Nicolas Sarkozy se passerait bien à deux ans de l’échéance présidentielle, lui qui voit sa côte de popularité s’effilocher mois après mois. En attendant, il - et on - n’a pas fini d’entendre parler du « caractère de ce qui est dur à supporter », définition du mot rigueur dans le dictionnaire.

Lire tous les « àla1 »